Le comportement d’un employeur qui, au lieu de mettre en œuvre la procédure de licenciement, met son salarié au placard en espérant que la dégradation de son état de santé psychologique arriverait à bout de ses prétentions d’indemnités trop élevées, viole son obligation de bonne foi et de loyauté, c’est un comportement qui traduit la volonté de l’employeur de sanctionner, de punir le salarié par l’humiliation et la vexation , sans perdre l’espoir d’économiser judiciairement une partie ou la totalité des indemnités prévues par le code.
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Une dure épreuve
F.Z, Une jeune femme, à peine la quarantaine, diplômée d’une grande école, dirige depuis une dizaine d’années, le service RH des filiales, au Maroc et aux pays d’Afrique francophones, d’une grande multinationale. Au cours de Janvier dernier, elle s’aperçoit qu’elle a été supprimée de l’organigramme et mise à l’écart. Quelques jours plus tard, elle se voit déposséder de son bureau de directeur pour être reléguée dans un bureau isolé, privée de téléphone, de matériel informatique, de collaborateurs et de véhicule de service, elle est, en un seul mot, débranchée de l’entreprise.
F.Z vient de connaître l’une des plus dures épreuves de la vie professionnelle d’un salarié, appelée « mise au placard ». Après avoir refusé, pour quitter l’entreprise, une indemnité de départ qui représente à peine 40% des indemnités fixées par la loi, F.Z s’attendait bien à une mesure dissuasive, genre mutation ou réduction de fonctions, mais pas à une mesure aussi dure, humiliante et blessante.
Après des démarches effectuées par son avocat relatives à la prise d’acte de la rupture, par son employeur, du contrat de travail, F.Z quitte l’entreprise et saisit le tribunal social en demandant à ce que la mesure prise à son encontre soit requalifiée en licenciement abusif et en réclamant la condamnation de l’entreprise au paiement des indemnités prévues par le code en pareil cas. La réponse du tribunal est à lire plus loin.
[/nextpage][nextpage]Démarches préalables à la mise au placard
La mise au placard est une stratégie pratiquée par certaines entreprises à chaque fois qu’il s’agit d’un cadre qui refuse d’accepter une modification substantielle de son contrat de travail ou de quitter l’entreprise moyennant une indemnité inférieure à celle prévue par la loi.
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Il est d’abord convoqué par sa hiérarchie, et après une introduction sommaire une proposition chiffrée forfaitairement lui est faite verbalement, il s’agit, souvent, d’un chiffre qui correspond à la seule indemnité prévue à l’article 52 du code, en fermant les yeux sur le droit à l’indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire) et aux dommages-intérêts (45 jours de salaire pour chaque mois d’ancienneté).
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La hiérarchie ne manquera pas de vanter les avantages d’une séparation à l’amiable qui permet un règlement rapide du litige dans l’intérêt des deux parties.
La hiérarchie observera pendant cette étape une discrétion absolue, tous moyens de communication pouvant constituer une preuve contre elle (tél, e.mails, sms ….) sont bannis.
L’étape peut durer des semaines, voire plusieurs mois, car, le cadre ne voit pas pourquoi il abandonnerait 60% des indemnités qui lui sont reconnues par la loi, alors que l’employeur, de son côté, ne voit pas pourquoi il ne bénéficierait pas d’un délai de plusieurs années, avant d’être contraint de s’exécuter judiciairement.
En cas d’échec des négociations, la hiérarchie reçoit l’ordre de lancer l’opération « mise au placard « , une redoutable machine à faire perdre l’estime de soi, elle est essentiellement psychologique et est programmée suivant la réaction du cadre.
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La délivrance
F.Z, grâce à un double soutien psychologique et juridique, a pu tenir le coup pendant plusieurs semaines au terme desquelles l’entreprise s’est vue dans l’obligation de convoquer la jeune femme dans le cadre de la procédure préalable au licenciement prévue à l’article 62 du code du travail. C’est la délivrance pour F.Z lorsqu’elle reçoit sa lettre de licenciement.
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Au terme d’une procédure qui a duré 6 mois, le tribunal social rend sa décision déclarant que la mise à l’écart infligée à F.Z constituait un acte abusif et une résiliation unilatérale de son contrat de travail, en lui accordant toutes les indemnités prévues par le code du travail.
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Pourquoi certaines entreprises ont-elles recours à la mise au placard ?
Les motifs pour lesquels certaines entreprises ont recours à la mise au placard sont divers, mais il s’agit souvent de cas de restructuration, de fusion-cession, d’acquisition, etc…., des motifs qui ont tous un seul but, économiser une partie ou la totalité des indemnités prévues par le code.
Que dit la loi ?
Résiliation abusive
Conformément aux dispositions du code de travail, l’employeur est tenu de fournir au salarié le travail convenu dans le contrat de travail.
Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation au Maroc, l’employeur qui cesse de fournir du travail à son salarié, ou qui ne lui demande qu’une partie de la prestation de travail prévue dans le contrat, ou qui lui retire tous ses moyens de travail, est considéré comme ayant abusivement résilié le contrat de travail. Les tribunaux relèvent qu’il s’agit d’inexécution de la part de l’employeur d’un élément essentiel du contrat de travail de nature à empêcher la poursuite des relations de travail.
Harcèlement moral
Le droit du travail repose sur l’idée que le contrat de travail doit s’exécuter » de bonne foi « , et la Cour de cassation a déduit de cette obligation, une obligation de loyauté et de correction dans la relation de travail.
Ainsi, et en application de ses deux obligations, l’employeur doit adopter un comportement conforme à la confiance qui a pu faire naître l’échange du consentement des parties, l’employeur ne peut avoir une attitude vexatoire, humiliante ou blessante envers son salarié.
Selon une jurisprudence française, le salarié victime d’un comportement humiliant de la part de son employeur, peut demander la réparation du préjudice moral qu’il a subi parallèlement à sa demande de voir requalifier la rupture du contrat de travail en licenciement abusif.
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